Enquête

Comment le Vendée Globe tracte l’innovation dans la voile de compétition7 min de lecture

ENQUÊTE disponible dans la Bretagne Sailing Valley® News – Newsletter #3 – automne

Le 8 novembre 2020 à 13h02, 33 solitaires s’élanceront à l’assaut du neuvième Vendée Globe. Huit d’entre eux partiront à bord de bateaux neufs, mis à l’eau entre août 2018 (Charal) et mai 2020 (Corum L’Épargne), véritables concentrés d’innovations technologiques nées en grande partie au sein de la Bretagne Sailing Valley®. De la conception à la construction, c’est l’ensemble du secteur de la voile de compétition qui est tracté tous les 4 ans par l’échéance du Vendée Globe et vit un véritable bond technologique. Tour d’horizon des principales innovations.

FOILS : TOUJOURS PLUS PUISSANTS
Au sein du cabinet d’architecture navale de Guillaume Verdier, qui a dessiné Apivia (Charlie Dalin) et LinkedOut (Thomas Ruyant), la principale problématique a tourné autour des foils, concept validé sur le Vendée Globe 2016. « Avec des foils qui poussent plus se posait le problème de la stabilité de vol. Chez nous, l’objectif a été d’entrée de ne pas faire voler le bateau très haut, parce que c’est très contre-performant, je ne voulais pas tomber dans l’extrême, surtout en solitaire », explique Guillaume Verdier. Qui s’est aidé, pour concevoir carènes, ponts et foils, d’une innovation majeure, à savoir un simulateur qu’il a pu proposer à ses clients, développé à partir de celui qu’il avait lui-même utilisé au sein de Team New Zealand, le defender de la Coupe de l’America.

FABRICATION : LES ROBOTS ENTRENT DANS LA DANSE
Pour les constructeurs, les foils ont également révolutionné les manières de faire et poussé à l’innovation. Lancée fin 2017, la société Avel Robotics a ainsi été spécifiquement créée pour répondre à la demande. « Le constat était que le composite haute performance était fait à la main dans le nautisme, alors que dans l’aéronautique, tout se faisait avec un robot permettant de fabriquer des pièces avec une qualité supérieure », explique son directeur général Luc Talbourdet. Avel Robotics a ainsi investi environ 1 million d’euros dans un robot qui a fabriqué des premiers foils pour les ETF26, petits catamarans volants. Le résultat a contribué à convaincre trois teams du Vendée Globe – Apivia, L’Occitane et, en collaboration avec Lorima, Arkéa Paprec – de faire appel aux services de la société lorientaise pour la fabrication de leurs foils. « Je suis convaincu que ce mode de fabrication va devenir le standard ; quand cela sera le cas, nous aurons quelques années d’avance », estime Luc Talbourdet.

CHANTIERS : INVESTISSEMENTS OBLIGATOIRES
Du côté de CDK Technologies, qui a construit en partie ou totalité quatre bateaux neufs du Vendée Globe 2020 – Charal, Apivia, Arkéa-Paprec et Corum L’Épargne – on a vu aussi clairement s’ouvrir ce nouveau marché. Sur lequel le chantier, basé à Lorient et Port-la-Forêt, s’est déjà positionné, puisqu’il a construit les foils de PRB et travaille actuellement sur ceux des deux futurs Ultimes, « M101 », initialement commandé pour François Gabart, et Banque Populaire XI d’Armel Le Cléac’h. Ce qui a poussé CDK Technologies à investir environ 2 millions d’euros, entre un logiciel de conception assistée par ordinateur, un autoclave de 25 mètres de long sur 4 de diamètre et une machine de découpe. Mais également à recruter : « Le foil, c’est le niveau au-dessus en termes de minutie et de connaissance de la matière, donc on est obligé de prendre les meilleurs, à la fois au bureau d’études et à l’atelier », explique Yann Dollo, directeur général de CDK Technologies.

PILOTES : UNE NOUVELLE GÉNÉRATION
Le Vendée Globe 2020 donne également lieu à un gros bond en avant dans l’électronique. Domaine d’expertise de la société Madintec, installée à Lorient et La Rochelle, spécialisée depuis quelques années dans les pilotes automatiques. Son co-fondateur Matthieu Robert explique : « La perspective du Vendée Globe 2020 a été l’opportunité qui nous a décidés, au lendemain de la dernière édition, à lancer une levée de fonds pour développer notre propre pilote. Il y avait moyen de faire de grosses innovations dans ce domaine, au point qu’aujourd’hui, on peut clairement parler de nouvelle génération. »
Résultat, après avoir équipé un seul Imoca, Initiatives Cœur, sur la dernière Route du Rhum, Madintec (qui travaille aussi avec des équipes d’Ultimes et de Multi50), compte huit autres clients sur le Vendée Globe – Apivia, PRB, MACSF, Arkéa Paprec, LinkedOut, Maître CoQ, Prysmian Group et DMG Mori – et a multiplié son chiffre d’affaires par quatre en quatre ans ! Autant de nouveaux clients qui vont permettre à l’entreprise d’amortir ses investissements et de proposer dans les prochains mois son pilote innovant à d’autres classes (IRC et Class40 notamment) à des tarifs nettement plus abordables…

L’IA POUR DÉTECTER LES OFNIS
Dans ce même domaine du pilotage, un nouvel acteur est entré sur le marché depuis le dernier Vendée Globe : BSB Marine. Cette société basée à Port-la-Forêt développe et commercialise le système Oscar de détection des objets flottants non-identifiés, basé sur l’intelligence artificielle. Un système imaginé par un ingénieur franco-allemand, Raphaël Biancale, et dont le cahier des charges a été co-rédigé par Jean Le Cam, Vincent Riou, François Gabart et Armel Le Cléac’h. Le Vendée Globe, de par sa dimension solitaire, est un enjeu majeur pour BSB Marine qui équipe 60% de la flotte du tour du monde. « Il faisait clairement partie de nos objectifs quand nous avons mis en place notre stratégie pour développer Oscar », confirme Gaëtan Gouerou, président de BSB Marine (et ancien délégué général de l’Imoca). Et c’est sans doute loin d’être fini, puisque le système, testé il y a un an sur la Transat Jacques Vabre, doit à terme non seulement détecter les Ofni, mais en plus les éviter en étant connecté au pilote automatique. La course au large est la première à en bénéficier, mais BSB Marine compte très vite proposer Oscar à la plaisance. « C’est à la fois une sécurité et un confort supplémentaires », ajoute Gaëtan Gouerou.

VOILES : DE L’IMPORTANCE DE L’AÉRODYNAMIQUE
Du côté des voiles, l’entre-deux Vendée Globe aura aussi donné lieu à un certain nombre d’innovations, les fabricants étant de plus en plus associés en amont dans la conception des bateaux. Ce que confirme Gautier Sergent, manager général de la voilerie North Sails France, qui compte deux planchers sur le littoral breton, à Vannes et Lorient, et équipe, en jeu complet, 17 des 33 bateaux au départ du Vendée Globe (et 5 partiellement). « Avec les foils, les bateaux traînent moins dans l’eau, donc la partie aérodynamique devient de plus en plus importante, on travaille beaucoup plus sur l’interaction entre la voile et le pont, on ne peut plus dissocier les deux. Aujourd’hui, pour les architectes, l’aéro est le sujet n°2 après les foils. »
Les voiles elles-mêmes ont fait l’objet d’un véritable pas en avant technologique : le « load sharing » : « C’est l’innovation majeure depuis le dernier Vendée Globe, confirme Gautier Sergent. Cela signifie qu’on transfère une grosse partie de la charge d’amure et de drisse dans la voile plutôt que dans le câble. Cela donne des voiles qui se projettent plus vers l’avant, donc plus de force propulsive et de meilleures performances. » Applicable à tous les bateaux de course, cette nouvelle technologie, qui a conduit la voilerie à retravailler les structures internes et les formes des voiles, est particulièrement adaptée aux Imoca à foils parce qu’elle permet d’éviter de surcharger le gréement monotype. « On a fait beaucoup de développement, on y est allés par étapes, il a fallu faire accepter cette innovation aux coureurs qui sont toujours à la fois excités par les nouvelles technologies et réticents à l’idée de prendre des risques trop importants. Aujourd’hui, c’est rentré dans les mœurs », conclut Gautier Sergent.

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Photo © Jean-Marie Liot / Défi Azimut