Y.Bestaven Vendée Globe
Interview

Antoine Mermod : « La dynamique post Vendée Globe est très forte. »7 min de lecture

INTERVIEW disponible dans la Bretagne Sailing Valley® News – Newsletter #5 – printemps

La neuvième édition du Vendée Globe s’est achevée le 5 mars avec l’arrivée du Finlandais Ari Huusela, 25e et dernier classé. Selon le président de la classe Imoca, Antoine Mermod, cette édition de tous les records profite à tout l’écosystème de la course au large, en particulier en Bretagne.

Ce Vendée Globe aura-t-il profité aux entreprises de la Bretagne Sailing Valley ?

Oui, clairement. Il y avait une très belle flotte, tant en quantité qu’en qualité, avec beaucoup d’argent investi de la part des sponsors : nous estimons à 120-130 millions d’euros l’investissement total des 120 partenaires sur les 33 bateaux. Or, une bonne partie de cet argent a été elle-même investie par les équipes dans la technologie et donc captée par les entreprises de Bretagne Sud. Sur les 33 bateaux, 8 ont été construits pour ce Vendée Globe, dont 5 au sein de la de la Bretagne Sailing Valley (Charal, Apivia, Arkéa Paprec, DMG Mori, Corum L’Épargne). Le principe de sélection, mis en place pour départager les inscrits si on dépassait le nombre limite, a par ailleurs conduit nombre de teams à démarrer tôt leur campagne, mais aussi à modifier les bateaux en cours de route pour les améliorer, on l’a vu avec certains plus anciens, comme Time for Oceans et Groupe Apicil, qui ont été « refittés » en profondeur, là encore en Bretagne. Les nouveaux foilers ont également poussé certaines équipes à « upgrader » leur bateau en y ajoutant des foils neufs, dont certains ont été construits par les chantiers de la filière, comme ceux de MACSF et de Seaexplorer-Yacht Club de Monaco, chez Multiplast. Ce marché des foils a lui-même explosé, puisque plusieurs équipes en ont fait construire deux ou trois, je pense à Charal, Apivia, Arkéa Paprec, LinkedOut, Hugo Boss… À l’arrivée, le faible taux d’abandon [24%, le plus faible de l’histoire de la course, NDLR] montre la qualité du travail qui a été fourni : les bateaux ont vraiment été bien préparés, y compris par les équipes disposant de petits budgets ou d’Imoca plus anciens.

Ce Vendée Globe a-t-il donné lieu à des avancées technologiques qui ont permis de créer de nouveaux marchés ?

Il y a eu un vrai cap franchi dans plusieurs domaines entre 2016 et 2020. Je pense d’abord au nombre de données collectées sur les bateaux. Jusqu’en 2015, on ne décomptait qu’une campagne de mesures faite sur Safran (l’actuel Maître CoQ IV) sur la Transat Jacques Vabre 2015. Aujourd’hui, 100% des bateaux ou presque collectent des data, que ce soient des données de charges – sur le gréement et sur les foils -, de structure ou d’attitude du bateau. En l’espace de six ans, on est passé de quelques données éparses, qui étaient des petites aides à la navigation, à un ensemble d’informations qui permettent de mieux utiliser et de suivre les bateaux tout au long de leur vie, mais aussi de mieux les concevoir. Et ce sont bien évidemment aussi des outils de performance. Cela a permis de créer un nouveau marché avec des entreprises bretonnes qui se sont spécialisées ou diversifiées dans la collecte et l’analyse de données, je pense par exemple à Madintec, Pixel sur Mer ou AIM 45, qui ont été assez précurseurs dans ce domaine puisqu’elles avaient déjà travaillé sur le sujet sur la Coupe de l’America. De la même façon, un énorme pas en avant a été fait sur tout ce qui est électronique embarquée, avec les pilotes automatiques : jusqu’ici, on avait un modèle principal qui suivait une consigne, à savoir l’angle de vent, depuis quatre ans, des entreprises comme Pixel et Madintec ont développé de grosses évolutions permettant de piloter les bateaux en suivant plusieurs consignes – comme un angle de gîte ou une vitesse à ne pas dépasser, une réaction en cas de problème – et d’utiliser de manière plus pointue les capteurs qui sont à bord des bateaux. Avec ces solutions, on se rapproche aujourd’hui d’un vrai barreur. Et, comme je le disais précédemment, un véritable marché de construction du foil s’est développé avec des chantiers qui se sont mis à en fabriquer et de nouveaux acteurs arrivés avec des modes de production innovants, comme Avel Robotics. Et ce n’est pas fini, puisqu’en ce moment, on a déjà cinq nouvelles paires en construction !

La nouvelle jauge en vue du prochain Vendée Globe sera définitivement adoptée en avril, pouvez-vous nous en dire plus sur ses grands principes ?

L’objectif principal est de préserver la flotte existante pour qu’elle arrive en 2024 avec un niveau de développement raisonnable, car l’enjeu est de convaincre les sponsors de rester avec nous, donc d’éviter de trop gros investissements. Le point le plus spectaculaire est la limitation de la taille des foils, qui, depuis deux ans, sont devenus de plus en plus grands. On pense que c’est le bon moment, avec le recul que nous avons aujourd’hui, de poser une limite qui sera de 8 mètres cube, ce qui correspond à peu près à la taille des foils qu’avaient sur ce Vendée Globe Seaexplorer-Yacht Club de Monaco, Charal ou Hugo Boss. À côté, nous avons interdit les plans porteurs sur les safrans, là encore pour limiter l’escalade des budgets et garder une flotte homogène ; même si cela n’empêche pas qu’ils seront peut-être autorisés dans le futur.

Alors qu’un nouveau cycle de quatre ans démarre dans un contexte sanitaire et économique toujours compliqué, à quoi doivent s’attendre les entreprises bretonnes de la filière ?

Cette neuvième édition du Vendée Globe affiche les plus grosses retombées de l’histoire de la voile française (avec un équivalent publicitaire des retombées médias annoncé de 269 millions d’euros en France). La dynamique actuelle reste très forte et incite beaucoup de partenaires à continuer leur engagement : on voit que le marché de l’occasion se met en route avec des transactions déjà réalisées, comme la vente de L’Occitane à Bureau Vallée, et d’autres qui sont bien parties, tandis que trois ou quatre projets de bateaux neufs vont être lancés assez rapidement. Ce qui est déjà exceptionnel par rapport au cycle précédent. En vue de 2024, on aimerait bien compter de six à huit bateaux neufs, un renouvellement de 25% de la flotte environ est un bon chiffre. Autre signe positif, le plateau attendu sur la Transat Jacques Vabre : on table sur une vingtaine de bateaux, contre treize il y a quatre ans. Donc je pense que les entreprises peuvent être plutôt rassurées, le marché français est solide. L’objectif, désormais, est d’attirer des projets étrangers, de leur faire profiter de notre technologie et de notre savoir-faire. C’est le choix que nous avons fait en liant notre destin à celui de The Ocean Race, je pense que c’est bon pour les entreprises bretonnes de nous accompagner dans cette voie et la venue en mai de The Ocean Race Europe à Lorient sera une très bonne occasion pour elles d’aller à la rencontre de cette clientèle potentielle.

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Photo © Bernard Le Bars/Alea